Chroniques

par bertrand bolognesi

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Bayreuther Festspiele / Festspielhaus, Bayreuth
- 15 août 2022
Suite et fin du RING de Valentin Schwarz au Festival de Bayreuth 2022
© bayreuther festspiele | enrico nawrath

« Ne rêvons pas, puisque c’est interdit », disions-nous pour conclure le compte rendu de Siegfried, après avoir envisagé que Valentin Schwarz, dans un geste héroïque pour le salut des metteurs en scène, se fût immolé dans la Götterdämmerung. C’était voir juste, l’artiste reniant lui-même plusieurs applications qu’avait induit le concept de base de son Ring. Ainsi de refus, érigé en principe, de prendre les instruments mythologiques au pied de la lettre, les transposant systématiquement dans un usage à nous être contemporain, sans réfléchir plus avant sur la fonction du mythe et, surtout, sur le théâtre, non dans une acception historique développée sur des temps anciens mais précisément dans notre contemporanéité. La geste tétralogique de Schwarz s’enferre dans une accablante paresse, préférant renouer avec ce qu’on pourrait appeler les traditions de la modernité, accusant dès lors tout ce que telle acception encourage de conventionnel, voire de recuit.

À l’issue de l’ultime journée du cycle, le public du Bayreuther Festspiele paraît s’être enfin habitué à la direction svelte et infiniment ciselée de Cornelius Meister qu’à la fin du Rheingold il avait hué, lui réservant meilleur accueil à la fin de la Walküre pour encore un peu grogner après Siegfried [lire nos chroniques des 10, 11 et 13 août 2022]. Cette façon très fluide de dessiner les motifs et de les enlacer dans une tension dramatique soutenue bien au delà de son prime élan a donc fini par convaincre, ce dont il faut se réjouir. Non content d’admirablement réussir à faire frémir les timbres du Festspielorchester, le chef maîtrise habilement l’acoustique particulière de la Festspielhaus, faisant sonner les couleurs de la fosse dans un respect idéal de l’équilibre avec les voix. Indéniablement, la vraie réjouissance du présent Ring réside dans cette lecture alerte et lumineuse dont la clarté salutaire compense les ténèbres involontaires de la production.

Götterdämmerung est servi par une équipe vocale efficace où l’on retrouve Kelly God en Troisième Norne, la partie de la Deuxième étant confiée à Stéphanie Müther quand l’excellente Okka von der Damerau défend luxueusement celle de la Première. Les Rheintöchter ne sont pas en reste, avec la prestation impeccable de Lea-Ann Dunbar (Woglinde), Stephanie Houtzeel (Wellgunde) et Katie Stevenson (Floßhilde). Fricka de haute volée, chaleureusement applaudie lors des deux premiers volets du cycle, Christa Mayer prête son mezzo généreux à Waltraute dans un affrontement musclé. Affichant meilleure santé vocale que vendredi en Tristan, le ténor étasunien Stephen Gould brille, par-delà une conception du rôle que Valentin Schwarz a préféré drastiquement contrarier, de l’aura héroïque nécessaire à Siegfried [lire nos chroniques de la Huitième de Mahler à Paris et à Leipzig, de Peter Grimes, Das Lied von der Erde, Die Frau ohne Schatten, Tannhäuser à Paris et au Bayreuther Festspiele, enfin du concert Wagner de Marek Janowski]. Le robuste organe d’Ólafur Sigurðarson œuvre toujours sans faille en Alberich, tandis que le baryton solide de Michael Kupfer-Radecky offre à Gunther un format confortable et une ligne vocale soignée [lire nos chroniques de Salome et de Violanta]. Grande figure du chant wagnérien de toujours, Albert Dohmen signe un Hagen rude, au grand souffle. Freia ici-même cette semaine, Sieglinde à Berlin l’an dernier [lire notre chronique du 10 novembre 2021], le soprano dramatique norvégien Elisabeth Teige campe d’un fier gosier une Gutrune qui déploie des trésors de couleur et de nuance, tout en composant un personnage atrocement désagréable. Enfin, Iréne Theorin dispose plus certainement de ses moyens que lors de la première journée, ainsi la Brünnhilde de ce soir profite-t-elle de registres plus liés que magnifie un engagement hors pair dans le rôle, dès lors musicalement passionnant [lire nos chroniques d’Elektra, Die Walküre, Götterdämmerung à Budapest et à Milan, Gurrelieder, Turandot et Siegfried]. Préparés par Eberhard Friedrich, les artistes du Festspielchor impressionnent positivement dans l’acte médian.

Que dire du cauchemar de l’enfant de Brünnhide et Siegfried – oui, ils en ont fait un… ? Que dire de Grane excorié dont Gunther et Siegfried boivent le sang lors du pacte fraternel sensé les lier ? Que dire du fait que Siegfried ne boit pas le philtre, qu’il renie donc sciemment Brünnhilde ? Que dire des masques arborés par les hommes de Hagen ? Que dire de la folie de l’ex-walkyrie dans les derniers instants ? Que dire des Rheintöchter devenues walkyries décaties, robes en lambeaux et perruques défraîchies ? Que dire, que dire… Sans revenir sur la dimension musicale qui demeure assurément LA réussite de ce nouveau Ring des Nibelungen, un article à venir explorera l’ensemble de la proposition scénique, copieusement huée ce soir.

BB